Entretien avec le directeur de l'ENSA Professeur Ibrahima DIEDHIOU lauréat 2021 du prix "Visionary Scientist for African Agriculture" de la société américaine d'agronomie

Qui est le Professeur Ibrahima DIEDHIOU ?

Ibrahima Diédhiou est chef d’une équipe de recherche en agronomie et environnement à l’Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture (ENSA) de l’Université Iba Der Thiam de Thiès. M. Diédhiou est titulaire d’un Doctorat en Sciences de l’Environnement de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et d’un autre Doctorat en Agronomie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Ses travaux de recherche concernant l’influence des associations arbustes ou arbres et cultures, sur les propriétés des sols et la productivité des cultures alimentaires ou énergétiques sont largement reconnus. Il est auteur ou co-auteur de 45 publications révisées par les pairs. M. Diédhiou est actuellement Professeur assimilé, Directeur de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture (ENSA) et Membre du Comité Scientifique et Technique de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA). Il a coordonné plusieurs programmes internationaux de recherche en Afrique de l’Ouest. Également, M. Diédhiou a occupé les fonctions de Coordonnateur du programme systèmes de production agricole et gestion des ressources naturelles du Centre National de Recherche Agronomique de Bambey (ISRA) et Directeur de la Recherche et de l’Innovation Scientifique de l’Université Iba Der Thiam de Thiès. Il collabore aussi avec des organisations de développement telles qu’Agro-Shrub Alliance et Prolinnova (Promoting Local Innovation) où il siège au comité de pilotage de la plateforme du Sénégal. Enfin, M. Diédhiou est lauréat en 2019 de « Beating the Famine in Sahel » pour ses recherches sur la restauration des terres.

 

Qu’est-ce que la Société Américaine d’Agronomie ?

L'American Society of Agronomy (ASA) est une société scientifique et professionnelle internationale qui permet aux scientifiques, aux éducateurs et aux praticiens de développer, de diffuser et d'appliquer des solutions agronomiques pour nourrir et soutenir le monde. Basée à Madison, Wisconsin USA, l'ASA compte plus de 7 000 membres et plus de 12 000 professionnels certifiés (conseillers en cultures certifiés) qui se consacrent à l'avancement du domaine de l'agronomie. L'ASA fournit des informations sur l'agronomie en relation avec la production agricole, la biométrie et les statistiques, la climatologie et la modélisation, l'éducation et la vulgarisation, la qualité de l'environnement, l'agronomie mondiale, la gestion et la conservation des terres. Fondée en 1907, l'ASA soutient ses membres et les professionnels certifiés en leur fournissant des publications de recherche évaluées par les pairs via la bibliothèque numérique, des programmes éducatifs, des certifications, des réunions et des initiatives de politique scientifique via un bureau à Washington, DC. Le fil conducteur des programmes et services de l'ASA est la diffusion et le transfert des connaissances scientifiques pour faire progresser la profession.

 

C’est quoi le prix ?

Le prix est mis en compétition pour les chercheurs qui ont au moins 15 ans d'expérience dans leur domaine respectif, avec un impact quantifiable et mesurable de leurs contributions au progrès de l'agriculture africaine. Il est décerné à un scientifique chevronné en agronomie qui a mené des recherches sur les défis majeurs de l’agriculture en Afrique, et qui a eu des réalisations individuelles significatives et exceptionnellement importantes pour l’agriculture africaine. Les domaines concernés sont la fertilité des sols, la nutrition des cultures, l'adaptation au changement climatique et l'atténuation de ses effets, ainsi que l'optimisation des chaînes de valeur agricoles. Dans notre cas, les résultats de recherche couronnés concernent des technologies permettant d’améliorer la fertilité des sols et les rendements de cultures alimentaires ou bioénergétiques. Leur diffusion à grande échelle pourrait contribuer de façon significative à la sécurité alimentaire et énergétique, mais aussi à l’amélioration du bien-être en milieu rural. Enfin, il faut signaler que le prix est doté d’une récompense financière et d’une adhésion d’un an du lauréat à l'ASA, à la CSSA et à la SSSA.

 

Qu’est-ce qu’il représente pour vous, pour votre carrière, pour l’institution que vous dirigez ?

Ce prix au-delà de ma modeste personne, honore notre équipe de recherche, l’ENSA et toute l’Université Iba Der Thiam de Thiès. Mon institution m’a donné les conditions favorables sans lesquelles, je n’aurais pas pu nouer les partenariats et trouver les ressources financières qui ont permis d’obtenir les résultats de recherche primés. Il faut souligner que le prix va être relayé par le magazine de la Société Américaine d’Agronomie et nous sera remis à la réunion annuelle de l’ASA en novembre à Salt Lake City aux Etats-Unis dans une salle où les posters des lauréats seront affichés. Je vais profiter aussi de l’occasion pour nouer des contacts de partenariat pour mon institution. Tout cela va donner davantage de visibilité à notre école et notre université. Par ailleurs, feu Dr Jacques FAYE, nous disait qu’un chercheur sénior n’est rien d’autre qu’un scientifique qui a acquis suffisamment de crédibilité pour avoir la confiance des partenaires lui permettant de lever des fonds de recherche. Je considère que cette deuxième distinction, après celle reçue au Mali en 2019 (Beating the Famine in the Sahel) va renforcer notre crédibilité et nous permettre d’avoir plus de ressources financières pour faire travailler les jeunes chercheurs et contribuer à la formation à la recherche par la recherche.

 

Quelles sont vos perspectives, votre vision pour l’ENSA ?

L’ENSA est une école d’excellence qui a formé d’éminents cadres agronomes qui brillent au Sénégal et partout dans le monde. Pour la plupart, ces cadres ont intégré les structures de l’Etat, les organisations internationales onusiennes ou privées, et les ONG. Toutefois, aujourd’hui à la faveur de la diversification des institutions de formation et de l’offre de formation en agriculture, l’école doit se repositionner pour renforcer sa position de grande école de formation d’ingénieurs tout en s’ouvrant aux formations courtes de techniciens ou certifiantes. Pour cela, nous devons consolider les acquis et poursuivre la diversification des offres de formation en visant les domaines où le pays a le plus besoin de ressources humaines qualifiées pour le secteur privé comme pour les services publics. Également, l’école doit renforcer la place de l’entreprenariat dans ses programmes de formation pour favoriser l’insertion de nos diplômés par l’auto-emploi. Elle doit aussi mieux intégrer l’informatique, l’environnement et l’anglais dans les curricula. Enfin, l’ENSA doit s’appuyer sur l’expertise de ses ressources humaines, les potentialités de ses centres d’application et son large réseau de partenariat dont le pilier est le réseau des alumni (ADENSA) pour élaborer une politique de génération de ressources propres à même de lui assurer un budget conséquent et à la hauteur de ses ambitions de grande école d’ingénieur. Votre opinion sur la recherche au Sénégal ? La recherche est au Sénégal est aujourd’hui constituée de deux pôles : les NARS (instituts nationaux de recherche agricole et agroalimentaire) et les universités. Les deux pôles combinés représentent une masse critique de scientifiques de qualité qui sont capables de prendre en charge les problèmes majeurs de développement socio-économique et culturel de notre pays. Malheureusement, ce potentiel est aujourd’hui insuffisamment valorisé du fait principalement d’un manque d’un document de politique nationale de recherche et d’innovation et son corollaire, le déficit d’organisation qui se manifeste davantage dans les universités et en particulier les plus jeunes d’entre elles. L’autre contrainte majeure de la recherche reste l’éternel problème du manque de financement conséquent. Les quelques fonds de recherche qui existent (FNRAA, FIRST) octroient des ressources dérisoires que se partagent quelques équipes et qui ne permettent pas quelque fois, d’approfondir certaines questions. C’est pourquoi, il me paraît important de s’attaquer d’urgence à l’élaboration d’une politique nationale dans le domaine qui va aborder la question du financement de la recherche et de l’organisation de la recherche à l’échelle nationale. Pour les universités, il s’agira alors, de se doter pour chacune d’elle, de textes sur l’organisation et les normes de la recherche, mais aussi sur la gestion flexible et efficace des subventions de recherche.

Suivi des chantiers